Café du Commerce.


"Je t'aime dans la limite des stocks disponibles"


Tout de conformisme vétu, Pascal portait son costume cheap comme un mal nécessaire à sa réussite. Un ridicule pouvant en cacher un autre; la pointe de sa cravate parsemée de golfeurs miniatures tombait jusque devant son pénis. Il se débattait douloureusement dans son époque tel un oiseau mazouté, vaticinant tour à tour sur la crise grecque et les bienfaits d'une immigration contrôlée. Bref, l'étrave de sa connerie filait bon vent sur la mer morte des lieux communs, et son acharnement à combler son vide par du creux avait fait de lui le meilleur vendeur de téléphonie mobile du Quartier St Georges. Pourtant, il ne lui était rien arrivé de grandiose depuis l'obtention de son BTS action co. et son accident de ski au SuperLioran en 98.
On est souvent amené à prendre en pitié ces parangons de middle-class, plus qu'à les haïr franchement. Leur opiniâtreté à s'accrocher à une société qui les a fabriqués jetables les rend aussi touchants qu'un sac plastique malmené par le ressac.
D'ailleurs, lorsqu'une amourette se dessina entre Pascal et son homologue féminin, j'en fûs plutôt ému. Jess, une coiffeuse carrieriste. Je sais ça sonne très mal. Dans leur cas, le Rimel gras de l'une et les Ray-Bans de l'autre, nous interdiront de parler de miroir de l'âme. Leurs regards avaient bien dû se croiser, mais c'est le rejet de toute forme d'originalité et leur amour des vitres teintées qui les avait unis un jour au café, entre midi et deux, entre la trentaine et nulle part. A leur grand dam, les habitués mâles guettant la croupe de Jess depuis son embauche à Hair'libre, ceux ci allaient devoir ravaler leur rut et continuer à imbiber leur spongieux gouffre affectif de babys glace. D'autant que les deux inséparables prenaient un malin plaisir à éclabousser leur complicité de circonstance à tout-va. Cette idylle de quinze jours consista en un medley de dînette et d'action-ou-vérité avec pour proscénium le bout du comptoir. Hypercorrection et maniaquerie respectives ayant empeché leurs corps d'exulter dans la baise, il n'y eu pas de réconciliation possible sur l'oreiller et la première friction clotura cette relation pathétique. Suite à ces jours brefs et pas intenses du tout, je m'amusais à imaginer ces deux connards lambdas rentrer chez eux, et se masturber en chialant devant un micro-ondable.

Dans d'autres circonstances, n'importe qui de sensé me taxerait d'aigreur, ou me traiterait avec le mépris qu'on accorde aux ennuyeux qui passent leur ennui à médire. Mais je suis plutôt fier de m'emmerder, j'aime ce philosophe qui disait que le besoin de nouveauté est le fait de gorilles fourvoyés, il n'y a qu'à voir comment King Kong a fini ses jours ...

"Sexe,drugs and demi-molle"


18h, c'est l'heure des hipsters comme je les appelle gentiment. Ces petits imposteurs avec leurs faux airs de dandys kitsch, imbus de l'avant-garde qu'ils espèrent incarner : lunettes à larges montures, robes Vichy et autres déchets vintage d'un surréalisme sensé les dédouaner de toute forme de classe. Le pognon de mère-grand a permis à leur parents de rester hippies jusqu'à les pondre, et ces petits trou-du-culs finissent de tout claquer en hésitant entre une carrière de graphiste et une expérience de rockstar. Du rock éléctro-garage bien sûr, que la Morale leur interdit d'écouter ailleurs que sur une platine vinyl. Mon dieu ce que j'aimerais leur dire qu'ils sont réacs et prétentieux, avec leur manière elliptique de se sentir détenteurs du bon goût d'autrefois, d'aujourd'hui et d'après. C'est ce cynisme puéril qui amenait cette bande de jeunes au "Commerce", leurs petits coudes osseux attirés à heures fixes par le formica du comptoir. Le plus agaçant chez cette engeance de couillons rockabilly, c'est qu'ils parlent, consomment, écoutent, vivent au second degré. Ce dandysme galvaudé et ce précieux second degré ne sont que leur passe-droit vers une vie à commetre peinards les pires abjections artistiques, humaines et sociales dans la moiteur suave de leurs apéro-tapas. Leurs discussions se résumaient à un concours de celui qui aimera l'artiste le plus détesté des 80's, qui connaitra l'inconnu le plus célèbre de l'histoire de l'architecture. C'est peut-être bien que notre époque permettent aux boutonneux et aux petits boudins binoclards de devenir, avec l'age, ce genre de peigne-culs. De toutes façons ils sont trop radins et accros aux antidépresseurs pour sombrer dans la cocaïne et dépérir; et quelques chose d'inconscient leur rappelle de ne jamais faire de vague de peur de se retrouver accrochés au porte-manteaux comme au collège.

Cons à bouffer du foin, à boire de la Suze. Cons. Des fois j'ai des images violentes qui me viennent et je me vois leur croquer la tête comme à un ortolan.
Un jour, l'un d'eux m'a sorti : "Kasper, viens voir là !" en claquant des doigts. Il portait un casque énorme et voulait me faire écouter sa musique de mes deux. S'il n'y avait pas de loi l'interdisant et aucune chance de se retrouver dans le couloir de la Mort, je lui aurait fait un sort carnassier.

"Anywhere out of the world"


Ok, ce n'est pas du Chateaubriand. Pour être honnête, je ne sais pas de qui c'est. Ce que je sais, c'est que ce jeune homme délicat assis à table, entretient une étrange ressemblance capillaire avec Arthur Rimbaud. Je suis prêt à parier une entrecôte Rossini que le carnet devant lequel il scotche est loin de contenir les Chants de Maldoror. Au mieux il doit archiver la logorrhée mièvre de sa révolte en chambre survolée par d'incertains corbeaux griffonnés ça et là. En tout cas, force est de constater que ça lui permet de tirer sa crampe plusieurs fois dans l'année de jouer les poètes maudits au bistrot ...
Je sais, vous allez penser que rien ni personne ne trouve grâce à mes yeux, que je suis bêtement péremptoire, vous parlerez même de manque de confiance en soi ou de surcompensation du doute. En vérité ce n'est pas le cas. J'aime les mots. Et je m'éclate beaucoup plus dans l'offensive que dans l'indulgence, c'est tout. J'aime observer et laisser couler mon fiel sur le carrelage. Ca me purge. Je ne peux rien pour ces braves gens. J'imagine qu'ils se maintiennent en vie en se persuadant que le ridicule ne tue pas, en s'imaginant qu'ils ne perdent que des batailles et jamais vraiment la guerre. Ils composent le casting de mon petit cinéma à moi. Ce qui me désole un peu toutefois, c'est que souvent leurs échanges humains se réduisent à un commerce clandestin de codes et de signes prémâchés.
Tenez cette grande conne là qui parle fort, et bien elle ne peut pas faire une phrase sans dire "mon copain", à toutes les sauces. En toutes circonstances, son pauvre mec est un élément du tableau, qu'il le veuille ou non. Et bien tout ce que fait cette grue, c'est de jouir bassement du signal qu'elle envoie à ses camarades de zinc : "TU ne me baiseras pas !" Qu'est-ce qu'on ferait pas pour se regonfler l'égo quand on a une vie de merde ... J'ai essayé de m'y frotter un soir où elle était bien cuite, j'ai senti comme un consentement tacite dans sa gêne. Elle est bécasse, mais elle a ce petit truc sexy des femmes qui assument leur goût pour la fessée, les insultes et les saillies brutales. Je m'emporte, ça doit être la saisons des chaleurs. En tout cas c'est ce que dit ce mec là, au bout de la laisse. Ca, et qu'il ne me manque que la parole.


A suivre.




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